mardi 11 février 2014

2013, millésime de manques

J’aurai pu intituler cet article : 2013, millésime multiple. Tant l’hétérogénéité des vins produits en 2013 est grande. Depuis des vins souples et plaisants jusqu’à de beaux vins mûrs et denses, en passant par d’autres petits et dilués. 2013 ne sera pas un grand millésime, on ne peut que le constater. Mais il n’est pas non plus le millésime raté que certains voudraient nous attribuer. 2013 est multiple et révèlera de nombreuses surprises. 2013 est surtout marqué par des manques liés aux conditions de l’année. 

La variabilité de couleurs des vins rouges illustre bien la diversité des vins 2013
 

 
Manque de Soleil
 
2013 est une année fraiche et humide. A part le mois de juillet, tous les mois de l’année sont déficitaires en température.
2 périodes sont particulièrement marquées par le froid et l’humidité :
 

Mai - Juin : - 3 °C par rapport à la moyenne en mai et + 50 % de pluie en juin entrainent une faible initiation florale, une floraison avec 15 jours de retard et des problèmes de fécondation avec coulure et millerandage.





Septembre – Octobre : des températures fraiches avec peu d’ensoleillement et une faible amplitude thermique entre le jour et la nuit, entrainent un manque de concentration des raisins en sucre, en couleur et en arômes. Par ailleurs, la pluviométrie élevée favorise le développement de la pourriture qui deviendra explosive dans certaines situations. 


 
Manque de Volume
 
Les températures douces de mi-avril avaient favorisé un débourrement généralisé et homogène, avec une belle sortie. Mais le froid et l’humidité de mai – juin ont conduit à une floraison difficile aboutissant à une perte importante de récolte par coulure et millerandage.
Particulièrement capricieuse, la météo s’est acharnée sur certains secteurs, meurtris par de violents orages de grêle fin juillet – début août. 20 000 Ha seront touchés, avec des pertes estimées à 300 000 Hl.
Liens :   Solidarité    et   Un Conte d'Automne

Les rendements moyens en Gironde sont de l’ordre de :
 
Blancs :           50 Hl/Ha  soit  – 10 %
Rouges :         35 Hl/Ha  soit  – 30 %
 
Cela représente une perte globale pour la viticulture girondine de 1 million d’Hl !

 
Manque de Concentration
 
Cela peut surprendre de parler de manque de concentration pour des rendements de 35 Hl/Ha. Pourtant, la vigne bien alimentée en eau pendant toute l’année, favorisant sa pousse sans période de stress, n’a arrêté sa croissance que très tardivement. Le mois de septembre manquant de chaleur et d’ensoleillement, et avec une faible amplitude thermique entre le jour et la nuit, a été peu favorable à la concentration des raisins en sucres, en couleur et en arômes. Par ailleurs, les problèmes de fécondation à la floraison, on conduit à des raisins avec peu de pépins (0 à 2 par baies), libérant peu de tanins et donc peu de structure. Constatations que l’on pouvait faire à la veille de la récolte, par la dégustation des baies. ’’Une dégustation attentive des baies révèle une autre indication : il semble que dans de nombreuses parcelles, la matière ne soit pas très riche, pas très dense, pas très expressive… signe non pas d’un manque de maturité mais plutôt d’un manque de concentration.’’   Lien : Millésime 2013 : des vendanges difficiles message du 06 octobre 2013.
 
Manque de Maturité
 
On évoquera souvent le manque de Maturité du millésime 2013. Il est vrai que l’année est tardive et que l’on a parfois vendangé tôt, sous la pression Botrytis. Il est vrai aussi qu’à la récolte, les jus des raisins présentaient des Degrés un peu faibles et des Acidités un peu élevées, signes de manque de maturité technologique. Mais il faut rappeler que la maturité qui nous intéresse avant tout, est celle des peaux des raisins et des pépins. Et là, le constat est tout autre. La vendange 2013 présente une bonne maturité aromatique, avec absence de caractères végétaux (IBMP brûlé par la chaleur de juillet/août) ; ainsi qu’une bonne maturité phénolique avec des pépins mûrs, sans tanins astringents. Et ça, ce sont des facteurs de qualité !
 
Manque de Chance
 
Nous avons manqué de chance. Le millésime avait bien démarré avec un débourrement homogène mi-avril. Les choses s’étaient gâtées au moment de la floraison début juin, impactant surtout la quantité. Mais la qualité avait été en partie rattrapée par le bel été chaud et sec. Malheureusement, l’automne a été trop humide, favorisant la dégradation de l’état sanitaire et condamnant le millésime dans certains terroirs où le développement de la pourriture grise a été explosif.
C’est bien là la principale limite du millésime : le Botrytis.
 
Nous savions que la vendange 2013 serait fragile au Botrytis. Lien : Potentiel de Réceptivité des baies de raisin au Botrytis en 2013
Nous savions que nous avions besoin d’un temps chaud et sec. Mais la Nature a été cruelle pendant toute l’année, jusqu’à la récolte. Certains terroirs n’y ont pas résisté. Les sols filtrants de sables et de graves. Les parcelles les plus précoces où la fragilité pelliculaire était la plus grande. Les sols labourés, gorgés d’eau…
 
Mais manque pas de charme
 
Manque de soleil, de volume, de concentration… n’y a t’il donc aucun point positif dans ce millésime 2013 ? Et bien si, justement…
 
2013 est un millésime de rendements faibles. Facteur de qualité.
Moins de rendement c’est aussi moins de cuves à travailler, et donc plus de temps pour gérer chaque cuve au mieux.
Des degrés moyens rendent les fermentations plus faciles, sans risques de déviation.
Une bonne maturité des arômes et des pépins permet de bien conduire les extractions, sans risque de caractère végétal où astringent.
Les cabernets sauvignons ont moins souffert à la fleur que les Merlots. Leur cycle a été plus ’’normal’’ et leur qualité est généralement supérieure. Ils forment souvent les meilleures cuves du chai.
Enfin, si certains terroirs, très précoces, ou tardifs ou filtrants ont souffert, d’autres se sont très bien comportés. Ceux comportant une part d’argile notamment. Ceux-là ont bien résisté au développement de la pourriture, permettant d’attendre un bon niveau de maturité.
 
En termes de vinification, peu d’options se présentaient au winemaker.
Soit la vendange était dégradée et alors il fallait extraire en douceur, en essayant de protéger la matière et de sauver les meubles. (On pouvait aussi appliquer une thermovinification. Voir ma recette façon poché ici : Comment "cuisiner" les MERLOTS 2013 ?).
Soit la vendange était saine et il fallait faire le contraire. Extraire en force pour aller chercher couleur, structure et concentration dans l’intimité du raisin. Extraire en douceur était une erreur qui ne pouvait conduire qu’à de petits vins sans caractère et sans charme.
 
Les vins des meilleurs terroirs ne manquent pas de charme. Ils sont colorés, avec des couleurs violacées franches et stables. Leurs nez expriment le fruit, sans notes végétales. Leurs bouches sont rondes, assez denses, avec une bonne longueur. Ces vins se comportent très bien en élevage, notamment sous bois, gagnant concentration et ampleur. Ce sont des vins réussis de bonne qualité, parfois supérieure à 2012.
Ces vins ne forment certes pas la majorité du millésime. Pourtant, quand la protection sanitaire du vignoble a été bien gérée ; quand la date de récolte, ni trop tôt ni trop tard, a été bien choisie ; quand les bons choix de vinification ont été faits, on a pu produire de très bons vins rouges en 2013 !
La plupart des vins sont plus simples. Souples, avec du fruit et de la fraicheur. Des vins d’assez bon niveau, agréables et qui correspondent bien à la demande du Marché.
Certains enfin, sont dilués et sans personnalité, voire maigres et sans couleur, comme mangés par le Botrytis. Heureusement, il ne s’agit que d’une petite minorité.
 
Manque de Confiance
 

Le millésime 2013 a déjà passablement été décrié, avant même les vendanges. Lien : «Le millésime 2013 est pourri, laisse tomber» 

Aujourd’hui, certains parlent de ne pas venir goûter les Primeurs cette année. Ou de ne pas présenter aux Primeurs. Certains voudraient même qu’on annule les Primeurs de Bordeaux pour le millésime 2013 ! Ce bashing anti Bordeaux relève d’un certain manque de confiance.
 
 

Pourtant, nous avons à Bordeaux les meilleurs consultants du monde, lien : Top 10 influential wineconsultants
Derrière 2 ou 3 œnologues médiatiques, il y a 50 œnologues de talent à Bordeaux. L’œnologie bordelaise fait référence dans le monde entier. Faites confiance à notre savoir-faire !
Bordeaux est une région aux conditions météo changeantes où chaque année il faut s’adapter. C’est à chaque fois de nouveaux défis. Notre rôle est de nous battre, de surmonter les difficultés et de réussir nos vins, quelles que soient les difficultés du millésime. J’ai déjà eu l’occasion de le dire pour le millésime 2012 : il n’y aura plus de mauvais millésime à Bordeaux ! Le millésime 2013, pour autant imparfait qu’il puisse être dans les conditions que nous a imposé Dame Nature, le prouve une nouvelle fois.

lundi 10 février 2014

2013, blancs et rosés tirent leur épingle du jeu

Pour ce premier article sur les vins du millésime 2013 à Bordeaux, j'ai confié la plume à mon collaborateur, Stéphane Renversade. Stéphane nous parle des conditions qui ont conduit à l'élaboration des vins Blancs et Rosés, particulièrement réussis.
 
 
Les millésimes se succèdent, tous différents, on s'attache à les comparer, les faire miroiter dans les reflets d'un semblable passé. Celui-ci restera dans les mémoires des plus anciens, comme des plus jeunes tant son unicité fait délier les langues de toutes générations de vinificateurs. 
 
Caractérisé par son aspect tardif et à faible potentiel phénolique, il est la résultante de conditions climatiques exceptionnelles marquées par le froid, la pluie et le manque d'ensoleillement sur toute la période végétative de la vigne.
Dans certaines situations, le développement brutal et véloce du botrytis qui en l'espace de 24 à 48h colonise l'ensemble des grappes, amoindrit une partie du potentiel aromatique et apporte des notes d'évolution à la couleur.
Néanmoins, la minutie et le choix de bons procédés préventifs et curatifs ont permis de sauver une partie du potentiel. 
 
Les Blancs 
 
Les sauvignons arrivent à maturité 2 à 3 semaines en retard par rapport à la moyenne, avec des rendements faibles de -10 à -20%.
Au profil très acide et faiblement pourvus en sucres au moment de la récolte, ils se dévoilent néanmoins très riches et intenses en arômes de thiols pour la plupart, qu'en terpènes pour les plus mûrs.
Les sémillons, plus généreux en volume, s'avèrent moins neutres qu'à l'accoutumée lorsque le bon état sanitaire a permis une maturité suffisante.
Les fermentations alcooliques se déroulent sans encombre, assez vite. Les élevages sur lies fines favorisent un rééquilibrage de l'acidité, une belle révélation aromatique et l'obtention de gras sans lourdeur. Des corrections d'acidité restent cependant assez courantes pour les assouplir.
En somme, un millésime réussi en blancs secs. 
 
Les Rosés
 
La cueillette des rouges pour l'élaboration des vins rosés (ou de vins rouges) chevauche - fait rarissime dans une même appellation - celle des blancs. Le volume des vins rosés sur le marché cette année est déficitaire en raison du très faible rendement en rouge. Il eût été plus judicieux dans certains cas de vinifier de bons rosés au détriment de rouges médiocres.
La fraicheur des arômes et les acidités élevées à la récolte, permettent la production de rosés de très bonne qualité.
Leurs couleurs sont vives et "flashies", les nez très intenses, amyliques et exotiques.
Tout comme pour les blancs, les rosés profitent de tous les bénéfices liés aux élevages sur lies. Là encore, des corrections d'acidité sont parfois nécessaires.
Ainsi, malgré les conditions difficiles du millésime, les rosés présentent toute une palette de vins très réussis.
 
A l'aune des automnes qui s'effeuillent, les ceps de vignes enracineront la mémoire de ce millésime si particulier.
 
Stéphane Renversade