mardi 4 octobre 2016

Bordeaux 2016 : millésime d’exception

En 2016, de nombreuses régions viticoles ont été durement touchées par les aléas climatiques : gel, grêle, sècheresse. Bordeaux, par miracle, est passé au travers et nous prépare un millésime exceptionnel.

Encore un coup de com des Bordelais me direz-vous. Eh bien non, et nous allons voir pourquoi.
 

Le millésime 2016 a tout d’abord été exceptionnel par ses conditions climatiques. Du jamais vu de mémoire de vigneron.
 

 
                          CLIMATOLOGIE 2016 - Station de Saint-Emilion          (Source : URABLT Grézillac) 


en Rouge ou Bleu : données mensuelles
en Jaune : moyenne des 20 dernières années

 
 
Un hiver exceptionnellement doux et arrosé



 
L’hiver 2015-2016 a été le plus chaud jamais enregistré en France (depuis 1900). Dans le Bordelais, Janvier et Février sont doux également, avec 2°C de plus que la moyenne hivernale, mais ce début d’année est accompagné d’importantes précipitations. Il pleut presque tous les jours. En Janvier, il pleut 2,5 fois ce qu’il tombe d’habitude ! Certaines parcelles sont inondées en Janvier et Février rendant les travaux d’hiver difficiles.

 
Un printemps frais et humide
 
Au sortir d’un hiver chaud et humide, le débourrement est particulièrement précoce, dans les derniers jours de Mars, avec une semaine d’avance sur les dates moyennes. La sortie, très bonne et homogène, laisse présager une production importante en volume.
A l’inverse de l’hiver, le printemps est frais avec près d’1°C de déficit sur les moyennes. Il est lui aussi humide, avec de nombreux orages heureusement sans dégâts de grêle conséquents, contrairement à d’autres régions viticoles.
En Avril, la météo fraiche et humide, avec parfois des sols gorgés d’eau ralentit la pousse et favorise l’asphyxie racinaire. Fin Avril-début Mai une baisse des températures entraine des gelées avec des dégâts heureusement localisés en Médoc, Pessac-Léognan, Blayais et Nord Libournais. Fin Mai la grêle touche le vignoble du sud Libournais avec heureusement, des dégâts limités.

 
Une Floraison étalée et hétérogène

Vers le 25 Mai, des journées chaudes favorisent enfin une bonne croissance de la vigne et voient l’apparition des premières fleurs. Mais la Floraison se déroule sous une météo fraiche et humide faisant craindre le spectre de la coulure de 2013. Il pleut notamment fin Mai (début Floraison) et mi-Juin (fin Floraison). Il en résulte une Floraison tardive, étalée et hétérogène avec 2 générations de grappes décalées de 1 semaine, ainsi qu’un peu de millerandage mais heureusement pas de coulure.
La mi-Floraison des Merlots est observée du 06 au 15 Juin selon la précocité des secteurs, laissant présager un début de récolte des Merlots vers le 25 Septembre en secteur précoce et le 05 Octobre en secteur tardif.

 
Un été caniculaire - Une sècheresse historique

Juin est lui aussi humide et frais (-1,5°C), ainsi au début de l’été, le millésime apparait tardif et productif avec une forte pression du mildiou. Mais à partir de la fin du mois, tout change. L’été s’installe enfin et coupe le robinet de la pluie ouvert depuis le début de l’année.

L’été sera chaud et particulièrement sec, avec une période de sècheresse de 80 jours (24 Juin – 12 Septembre), qui entraine un arrêt de croissance précoce et net, facteur important de qualité. Il est marqué par trois périodes de canicule (17-19 Juillet, 13-16 Août et 23-27 Août). A partir de la mi-Août on observe les premiers signes de stress hydrique sur jeunes vignes à enracinement superficiel et sur sols filtrants. Ces parcelles souffriront de la canicule avec, début Septembre, des défoliations parfois sévères. Mais l’essentiel du vignoble, bien arrosé en hiver et au printemps s’adaptera très bien à cette situation exceptionnelle. 

                                                  Sècheresse :  13 mm de pluie pendant 80 jours


Les premières baies vérées sont observées en secteur précoce vers le 25 Juillet, mais le temps très chaud et sec n’est pas favorable à la Véraison. Elle ne s’enclenchera franchement que suite à la pluie du 04 août. La véraison sera lente et tardive mais favorisée par une belle fin de saison.
La mi-Véraison est observée entre le 08 et le 18 Août selon la précocité des secteurs. Ce qui correspond à des dates de récolte vers le 25 Septembre pour les Merlots précoces et début Octobre en secteur tardif.

 
Une très belle arrière-saison

Septembre est lui aussi particulièrement chaud avec 1,5 °C de plus que la moyenne. Canicule, sècheresse, stress hydrique… un climat peu habituel en Bordelais ! La maturité s’affole avec des chargements importants en Sucres, une montée rapide des Degrés potentiels et une chute des Acidités. Et puis, les 13 et 14 Septembre, la pluie tant attendue après 80 jours de sècheresse, arrive. Environ 40 mm. Et tout change à nouveau. La montée des Degrés et la chute des Acides Maliques ralentissent. Sucres et Acides s’équilibrent.
Les nuits sont fraiches (10/15°C), les journées chaudes (25/30°C). Une bonne amplitude thermique favorable à une bonne maturation des pellicules des raisins et des pépins, tout en conservant la fraicheur du fruit. Parallèlement, le risque Botrytis s’éloigne.
La maturité se met en place. Son évolution et lente mais le potentiel qualité devient magnifique.
Tout est en place, les vendanges peuvent commencer.

 
Un superbe potentiel qualitatif

Les conditions climatiques de l’année permettent de prévoir le potentiel qualitatif d’un millésime, mais on ne découvre vraiment le millésime qu’au moment de la dégustation des baies.
Le cycle climatique 2016 ne ressemble à aucun autre. Le cycle végétatif se rapproche du millésime 2012, avec une fin de maturation particulièrement lente. La dégustation des baies, elle, évoque le millésime 2010 : les baies sont croquantes, gorgées de sucres et fraiches à la fois, avec d’intenses arômes de petits fruits noirs ; les pellicules sont riches de tanins doux ; les pépins se mangeraient comme des noisettes.
Enfin, les premiers vins rouges du millésime rappellent également 2010 ou encore 2000 : couleurs rouge sang, nez petits fruits noirs (mûre, myrtille), bouches structurées, puissantes. Un potentiel magnifique !

 

2016 restera dans les mémoires pour les conditions exceptionnelles qui lui ont donné naissance : déluge en hiver, sécheresse en été, superbe arrière-saison. Ces conditions extrêmes et inédites nous font perdre nos repères, naitre l’inquiétude. Comment la vigne va-t-elle s’adapter ? Quelle qualité de raisin va-t-elle produire ? Alors on est prudent. On attend de voir. On pense aussi à tous ces vignobles durement touchés cette année, par la cruauté de Dame Nature : gel, grêle, sècheresse. Beaujolais, Bourgogne, Cognac, Champagne, Languedoc, Val de Loire… Alors on est discret, on ne pavane pas. On pense à eux. On est solidaire. Bordeaux, par miracle, est passé au travers. Du gel, de la grêle, de la sècheresse, de la coulure. Bordeaux, l’exception 2016.