vendredi 26 avril 2013

Vendredis du Vin #55 : Le vin contre-pied

Voici le thème proposé par le Bicéphale Buveur pour la 55ème édition des Vendredis du Vin :
  
Pour le mois d'avril, j'aimerais que vous me trouviez votre plus beau vin "surprise".
Un vin qui vous a dérouté, bu en aveugle ou pas, bluffé et qui vous a emmené loin de ce que vous pensiez connaitre.
En voyant l'étiquette, vous avez reconnu la région, le cépage.
Vous êtes en territoire conquis et vous savez à quoi vous attendre.
Et paf, rien ne se passe comme prévu. C'est une claque vinique, vous pensiez que le vin allait vous passer par la droite et c'est par la gauche qu'il vous atomise, vous laissant tout penaud, verre à la main et plongé dans la plus sympathique des hébétudes.
Un vin qui aurait pu jouer au Barça ou être acheté un paquet de millions d'euros par des qatari en mal de spectacle.
Le vin qui fait une feinte de passe, un passement de jambes et qui vous laisse sur place.
LE vin contre-pied.
http://bicephale-buveur.over-blog.com/article-vendredi-du-vin-55eme-edition-le-vin-contre-pied-116952409.html 

Je me souviens d’un vin qu’on buvait avec mon père, quand j’étais ado.
C’était vers la fin des années 1970. On buvait bon chez les Hénot. La cave ne manquait jamais de quelques bonnes bouteilles bourguignonnes : Morey-Saint-Denis, Chambolle-Musigny… et blancs du côté de Montrachet. Quelques blancs du Jura à goût de jaune. Et une belle palette des cépages alsaciens. On découvrait également nos premiers achats en Primeurs de crus classés médocains. Gruaud-Larose, Lagrange, Camensac, Marquis de Terme… Mais ce n’est pas de ces grandes étiquettes que je veux vous parler, mais du vin qui faisait notre quotidien.
 
Mon père faisait venir jusque dans notre Lorraine lointaine, du vin en cubi expédié depuis Bordeaux. Un simple Bordeaux rouge qui avait la modestie de ne porter aucun titre de noblesse. Pas de Marquis, ni de Baron, ni de Conte, pas même de Château, un simple Domaine. A cette époque, je commençais à me passionner pour la dégustation. Avec mon père, déguster un vin était toujours une nouvelle expérience passionnante que nous pratiquions avec une grande rigueur. Nous avions commencé à retranscrire nos impressions de dégustation dans un beau livre de cave à la couverture cuir reliée. Rapidement devenu trop petit, il s’est transformé par la suite en gros classeur rempli de fiches de dégustation. Une fiche par vin, consignant nos impressions au fil de l’évolution du vin dans le temps. C’est ainsi qu’au fil des mois et des années nous avons consigné nos dégustations de ce petit Domaine du Bordelais acheté en cubi.

 
C’était un bon millésime, 1978 si ma mémoire est bonne. Couleur soutenue, du fruit avec quelques notes fraiches de cabernet, et une bonne matière tannique. Pas de bois, pas d’expression ostentatoire. Un vin simple et franc qui accompagnait avec bonheur la cuisine de tous les jours de ma Maman. Au fil du temps et de nos compte-rendu de dégustation, je me souviens de l’évolution étonnante de ce « petit » vin. Sa couleur, tout en restant soutenue, a gagné en chatoyance. Son nez s’est lentement transformé, révélant une magnifique palette aromatique : mûre, figue, cèdre, réglisse, épices, sous-bois, tabac, gibier, cuir… En bouche, le vin a petit à petit digéré ses tanins, les transformant en rondeur et en gras, gagnant par-là densité et une incroyable longueur. Ce fut une véritable métamorphose. Le petit vin sans pédigrée est devenu un grand cru avec une énorme classe. Je me souviens de l’un de nos derniers commentaires où nous écrivions notre étonnement et notre enthousiasme. Nous avions conclu par ces mots : « Jusqu’où ce vin va t’il nous emmener ? ».

Voilà ce « vin contre-pied » dont je voulais vous parler. Un bon petit vin de tous les jours qui s’est révélé au vieillissement, être un vin de grande classe, tout à fait capable de rivaliser avec des étiquettes bien plus prestigieuses. Il m’a appris très tôt à apprécier le vin pour ce qu’il exprime dans le verre, plutôt que pour ce qu’il promet sur son étiquette.
Il va falloir que je demande à mon père ; il en reste peut être une ou deux bouteilles cachées quelque part au fond de la cave. Il faut aussi que je le remercie pour toutes ces heures passées ensemble à m’apprendre la dégustation, à partager nos sensations, nos émotions. Elles ont révélé ma passion et construit mon avenir.
Merci Papa !

lundi 15 avril 2013

PRIMEURS 2012 : la déception

La Semaine des Primeurs des Vins de Bordeaux est un rendez-vous particulièrement riche d’enseignements. Pour les acteurs du Marché, qui vont déterminer la cotation et le prix de sortie des grandes étiquettes. Mais également pour les techniciens, les vinificateurs, les consultants… qui bénéficient à cette occasion d’un regard extérieur sur leurs choix techniques dans le millésime. Et qui peuvent également apprécier les choix faits par d’autres…
Après une semaine de dégustation aux 4 coins du département, le premier mot qui me vient à l’esprit est : déception.
 
Non, je ne suis pas déçu de la qualité du millésime 2012.
Le millésime 2012, je l’ai vécu. De l’intérieur. Auprès des producteurs que j’accompagne de mes conseils. Depuis le coup de froid de la mi-avril 2012, jusqu’à la date de récolte si difficile à déterminer. Entre maturité lente et Botrytis explosif. Depuis la macération, où il fallait choisir entre le trop extrait et le trop peu, sans aller dans le mal extrait. Jusqu’à l’écoulage pour lequel le graal recherché s’appelle Equilibre. Puis l’élevage où, comme son nom l’indique si bien, il s’agit d’élever le vin, faire monter sa qualité… Ce qui me déçoit, ce n’est pas le millésime dans son ensemble, mais plutôt les choix techniques faits par les vinificateurs (et leurs conseils).
Nous savons tous que les conditions qui ont accompagné la naissance du millésime 2012 sont loin d’être idéales. J’en rappelle l’essentiel : 
Pourtant, avec ces mêmes conditions « difficiles », si certains vins sont plaisants, car ronds, équilibrés, tout en fraicheur et en fruit, d’autres sont maigres, verts et secs. Mal mûrs, mal extraits, mal équilibrés, mal élevés… Mal maitrisés.
La qualité de la vendange 2012 recelait de nombreux pièges. Forte hétérogénéité de la vendange. Maturité parfois inaboutie. Etat sanitaire parfois imparfait.  Face à ces difficultés, il fallait savoir prendre des risques. A la récolte. Lors des macérations. En élevage. Les pièges étaient multiples :
§  vendanger trop tôt de peur d’un état sanitaire dégradé
§  vendanger trop tard de peur d’une maturité insuffisante
§  trier insuffisamment de peur d’une production trop faible en quantité
§  extraire insuffisamment de peur de sortir des tanins agressifs
§  extraire trop de peur de petites structures
§  mettre trop de bois pour compenser des structures trop faibles
§  mettre des chauffes trop fortes pour masquer les arômes végétaux 
Les vins issus de ces mauvais choix sont toujours les mêmes : couleurs un peu légères, vilains arômes végétaux, structures agressives aux tanins secs, apports boisés asséchants ou écrasants… Manque récurrent d’équilibre, de plaisir à la dégustation.

Je suis surpris, et déçu, qu’en 2012 tant de vins, ou du moins de producteurs, soient tombés dans ces pièges. Je croyais, qu’à Bordeaux, nous en avions fini avec notre complexe du Grand Vin. Le complexe du Grand Vin ? Un Grand Vin de Bordeaux est un vin riche, dense, et puissant, aux tanins mûrs et à la grande complexité. Un vin de longue garde comme il ne se fait nul part ailleurs. Mais pour élaborer un tel vin, il faut de Grands Raisins. Le complexe du Grand Vin c’est quand on essaye systématiquement de faire un Grand Vin, même quand les raisins n’en ont pas le potentiel. Alors, on élabore à coup sûr un vin déséquilibré et sec, dur et sans charme. Sa capacité de vieillissement est limitée car la structure, mal construite, n’a d’autre alternative que de se sécher au fil du temps.
Dans la plupart des situations, les raisins de 2012 ne permettaient pas d’élaborer des profils Grand Vins. Il fallait donc les travailler différemment. Mettre en exergue leurs qualités spécifiques : rondeur et fruit, sans aller vers la surextraction ou le surboisage. De nombreux producteurs (et consultants) ont compris le millésime et fait les bons choix, mais pas tous. Ainsi, trouve-t-on des vins réussis dans toutes les appellations, et de moins réussis aussi. S’il est certain que la rive droite est avantagée par sa précocité et la prédominance du merlot, la qualité des vins qui y sont produits en 2012 est peut-être aussi à chercher dans la qualité de ses consultants. Les meilleurs œnologues bordelais sont Libournais, nous le savons tous. Là se sont construites quelques locomotives aujourd’hui célèbres. C’est dans cette région aussi que l’on a compris, avant d’autres, qu'il faut produire des vins de caractère qui correspondent à la demande des marchés, plutôt que de produire ce que l’on a l'habitude de faire et chercher ensuite des acheteurs. Le marketing de la demande plutôt que celui de l’offre. C’est là que l’on trouve les meilleurs vins du millésime 2012. Des vins honnêtes, des vins cohérents, des vins en adéquation avec les potentialités de leur terroir dans le millésime. Des vins de charme, bien construits, tout en équilibre, et armés pour bien évoluer au fil du temps.

La Semaine des Primeurs est un marathon et un subtil jeu de séduction.
5 jours – près de 1 500 vins présentés – 5 000 dégustateurs – 50 nationalités différentes
 

 

 
 
 
 
 
 
    
 
 
 
J’ai eu l’occasion de déguster les vins présentés aux chateaux d'Agassac, Beauséjour-Bécot, Dillon, Fonroque, Grand Barrail, Labégorce, La Conseillante, La Couspaude, Lafitte-Rothschild, La Gaffelière, Le Chatelet, Mouton-Rothschild, Phélan Ségur, Soutard, ainsi qu’aux chais de Millésima. Voici ceux qui ont retenu mon attention (en gras, mes coups de coeur) :
 
Bordeaux :  Valmengaux - Puy Arnaud cuvée bistrot (vin nature) – Thieuley 

Bordeaux Supérieur :  de Reignac cuvée Balthus – Bossuet – Penin cuvée Les Cailloux – La Mothe du Barry 

Médoc :  La Tour Carnet – La Cardonne – Les Ormes Sorbet – Tour Castillon 

Haut-Médoc :  d’Agassac – Charmail – de Gironville – Belle-Vue 

Moulis :  Brillette – Moulin à Vent 

Margaux :  Rauzan Ségla – Marquis d’Alesme Becker – Labegorce 

Pauillac :  Petit Mouton de Mouton-Rothschild – Pichon Longueville Comtesse 

Saint-Estèphe :  Lafon Rochet – Cos Labory – Sérilhan – Le Boscq 

Saint-Julien :  Léoville Barton – Langoa Barton 

Pessac Léognan :  Pape Clément – Smith Haut Lafitte 

Fronsac :  La Dauphine – Mayne Vieil cuvée Aliénor 

Côtes de Castillon :  Joanin Bécot 

Lussac :  Bel Air – La Rose Perrière 

Montagne :  Faizeau – Tour Bayard cuvée l’Angelot 

Puisseguin :  Haut Fayan  cuvée Excellence – Guibot la Fourvieille 

Saint-Georges :  Haut Saint Georges 

Saint-Emilion Grand Cru :  La Grace Dieu – Tour de Yon – Le Destrier cuvée Premium 

Saint-Emilion GC Classé : Beauséjour Bécot – Clos des Jacobins - La Clotte – Sansonnet – Le Chatelet

Lalande : Grand Ormeau cuvée Madelaine – Real Caillou 

Pomerol : La Conseillante - Le Bon PasteurLe Gay – Clinet – Clos du Clocher – Enclos Haut-Mazeyres

lundi 8 avril 2013

Le millésime 2012 à Bordeaux


Le millésime 2012 révèlera d'excellents blancs secs et de bons vins rouges.
Pourtant, ce ne fut pas un millésime de tout repos, mais un millésime complexe et contrasté.
Aujourd’hui, 6 mois après la récolte et à la veille du grand rendez-vous des Primeurs, il est intéressant de faire un rappel sur la genèse du millésime 2012. 

Une météo très contrastée
 
 (CLIMATOLOGIE 2012 - station de Saint-Emilion     Source : Chambre d'Agriculture de la Gironde)


en Rouge : données mensuelles
en Jaune : moyenne des 30 dernières années


Malgré un mois de décembre arrosé, l’hiver a été sec avec un déficit de pluviométrie de l’ordre de 40%. Décembre et mars ont été doux, mais février a été particulièrement froid avec – 6°C par rapport à la moyenne trentenaire et des minima inférieurs à -15°C ! De manière localisée, des bourgeons ont gelés.
Mars et mai ont été doux et secs, mais avril a été froid (-2°C / gel localisé le 17) et très arrosé (+90%). Cette période froide et humide a perturbé le débourrement et la pousse de la vigne qui ont été particulièrement étalés. On a fréquemment observé, dans une même parcelle, un décalage de 2 semaines, parfois sur le même pied, entre les bourgeons des extrémités et ceux du milieu de l'aste.
Juin a été doux, avec une pluviométrie centrée sur la première partie du mois, perturbant la floraison, avec parfois Coulure ou Millerandage.
Juillet a été plutôt frais et sec, mais surtout très contrasté. On a observé une succession de périodes très chaudes suivis de chutes de températures de 10°C, retardant la véraison. La pluviométrie a une nouvelle fois été centrée sur la première quinzaine. Août a été chaud et sec avec une période de canicule du 17 au 19, qui a provoqué des échaudages localisés. Le stress hydrique engendré a parfois provoqué des blocages de maturité.
Enfin, septembre a été doux et sans aucune précipitation jusqu’aux pluies du 23. Elles ont accéléré la maturité et fait gonfler les baies. Octobre a été légèrement frais, mais surtout très arrosé à partir du 06. Si les précipitations n’ont jamais été très intenses, il pleuvra pratiquement tous les jours pendant les vendanges.
 
Une forte pression des maladies
 
Les conditions chaudes et humides de juin ont été particulièrement favorables au développement des maladies, notamment le Mildiou dont la pression sera très forte toute la campagne. Le stress hydrique de l’été a provoqué d’importants dégâts dus à l’Esca.
Enfin, les pluies de fin septembre ont permis au Botrytis de s’installer au vignoble. A partir du 06 octobre, il pleuvra pratiquement tous les jours. Les baies gonflent puis se fissurent, libérant du jus sucré sur lequel se développe une pourriture grise parfois explosive.
Le travail au vignoble aura été sans relâche, sous la pression très forte des maladies. La plupart des viticulteurs ont réussi à protéger leur feuillage et leur récolte, mais certains se sont fait gagner par le Mildiou ou le Botrytis, augmentant encore l’hétérogénéité de la récolte, à la fois en qualité et en quantité. 
Des rendements modérés 
Gel d’hiver, mauvaise sortie, coulure, millerandage, mildiou, sécheresse…, nombreux sont les paramètres qui expliquent la charge modérée observée dans la plupart des vignobles. Même si là aussi, l’hétérogénéité est grande. Globalement on observe un déficit de l’ordre de - 20% pour les cépages Blancs et - 10% pour les Rouges. 

Une maturité lente et étalée
 
Les grands froids de février et la fraicheur d’avril ont perturbé le débourrement qui a été particulièrement étalé. En juin, la pluie sur la fleur a étalé la floraison. Stress hydrique en juillet, canicule en août ont parfois entrainé des blocages de maturation.
Il en a résulté une très grande hétérogénéité au vignoble qui s’est retrouvé à la récolte, avec un millésime globalement tardif.
 
La ½ Floraison du Merlot s’étale du 01 au 10 juin selon la précocité des terroirs.
La ½ Véraison du Merlot s’étale du 05 au 20 août.
 

 
Les conditions climatiques du millésime 2012 ont entrainé une maturation lente du raisin. Il a fallu de nombreuses analyses, de nombreux prélèvements de raisin, de nombreuses visites de parcelles, de nombreuses observations…, ainsi qu’une grande patience et une résistance à toute épreuve pour encaisser le stress généré par l’attente. 
Au moment de la récolte, voilà comment se présente la maturité 2012 :
 

Maturité au 10 octobre 2012    © Centres Œnologiques de Coutras


Les Merlots présentent de bons équilibres Sucres-Acides. Leur couleur, favorisée par la grande amplitude de températures jour/nuit, est importante. Les pépins sont mûrs et libèreront peu de tanins agressifs.
A la dégustation des baies, les jus apparaissent sucrés, sans acidité marquée. La chair, gélatineuse pendant longtemps, tend à se liquéfier suite aux pluies de fin septembre. Les peaux sont toujours épaisses et dures. Les pépins deviennent bruns ; ils s’aoûtent et perdent leur agressivité astringente. Les arômes végétaux ont totalement disparus, «brûlés» par les températures élevées et la sècheresse du mois d’août. Les arômes dominants sont fruités. Fruit frais pour les parcelles les moins avancées, fruit mûr pour les plus précoces, sans surmaturation.
Ces caractères sont ceux de fruits d’un bon niveau de maturité et de belle qualité.
Les parcelles des terroirs les plus précoces sont arrivées à maturité optimale vers le 25 septembre. Leur récolte a été décalée avant ou après la pluie.
Les parcelles médianes ont atteint leur maturité début octobre.
Les terroirs plus tardifs ont dû attendre une semaine de plus, à partir du 08 octobre.
 
Les Cabernets ont fleuri dans des conditions climatiques plus favorables que les Merlots ; ils sont plus homogènes. La maturité des Cabernets francs est proche de celle des Merlots. Celle des sauvignons est retardée, impactée par les pluies d’octobre, avec notamment des chutes de degrés.
A la dégustation des baies, les jus apparaissent sucrés, sans acidité marquée pour les Cabernets francs, alors que les sauvignons sont plus acides et moins sucrés. La chair s’est liquéfiée suite aux pluies de début octobre. Les peaux se sont affinées pour les francs et restent encore dures pour les sauvignons. Les pépins deviennent bruns ; ils s’aoûtent et perdent leur agressivité astringente. Les arômes végétaux ont totalement disparus pour les Cabernets francs ; ils sont parfois perceptibles pour les sauvignons les plus tardifs. Les arômes dominants sont fruit frais à fruit mûr pour les francs, neutres à fruit frais pour les sauvignons. D’une manière générale, la dégustation des baies indique un bon niveau de maturité pour les Cabernets francs et une maturité imparfaite pour les sauvignons. 
Les Cabernets francs ont atteint leur maturité optimale vers le 10 octobre, dans la plupart des situations. Leur potentiel est bon.
A cette date, les Cabernets sauvignons les plus précoces sont proches de leur maturité. Les autres devraient encore attendre une dizaine de jours.
 
Un état sanitaire imparfait
 

L'Ennemi Public N°1

 
L’état sanitaire, parfait jusque fin septembre, s’est progressivement dégradé à partir du weekend du 06-07 octobre, suite à la conjonction de pluies régulières et d’une température de 18-20°C quasi-constante de jour comme de nuit.
Les Merlots, mûrs et avec des peaux devenues plus fines après les pluies, sont devenus très sensibles au développement du Botrytis. La pourriture des baies les plus avancées en maturité était la condition sine qua non à accepter pour récolter un ensemble à maturité optimale. Leur récolte a été accélérée et s’est terminé vers le 15 octobre, permettant de ramasser l’essentiel de la vendange en bon état.
Les Cabernets francs ont suivi le même chemin. Leur état sanitaire ne s’est dégradé qu’à mesure qu’ils atteignaient leur pleine maturité, ne remettant pas en cause leur qualité. Ainsi la plupart des francs ont été récoltés mûrs et sains. Les Cabernets sauvignons précoces se sont comportés de la même manière. Les plus tardifs ont vu leur état sanitaire se dégrader alors que leur maturité n’était pas optimale. Et dans certaines situations, il a fallu les récolter avant que leur état sanitaire ne soit trop dégradé.
  
 
Une récolte express  
 
La très lente évolution de la maturité a entrainé une attente patiente de la part des producteurs. Si les équilibres Sucres-Acides ont été obtenus assez tôt, l’extractibilité des composés de la pellicule des raisins (couleur, arômes, gras) ne s’est faite que tardivement. Il a donc fallut attendre et accepter le risque Botrytis.
Après beaucoup d’observations, de patience, de visite de parcelles, de dégustation des baies, les vendanges des rouges ont commencé fin septembre pour les secteurs les plus précoces et véritablement le 8 octobre pour la majorité des secteurs, soit 3 semaines plus tard que le millésime 2011. L’essentiel des rouges a été récolté en à peine 15 jours, entre le 8 et le 25 octobre, à la fois pour les merlots et les cabernets.
D’une manière générale, les Merlots ont pu être récoltés à un très bon niveau de maturité et dans un bon état sanitaire. Les Cabernets francs sont arrivés à maturité en même temps que le Botrytis se développait au vignoble. La plupart ont pu être sauvés. Il en est de même pour les Cabernets sauvignons précoces. Pour les plus tardifs, il aura fallu trouver le bon compromis entre maturité et état sanitaire.
Dans tous les cas, après une longue attente, en poussant le risque au maximum, on a assisté au vignoble à une véritable course contre la montre pour rentrer au plus vite cette belle vendange que nous disputait le Botrytis. Les moyens modernes de récolte et de tri de la vendange ont permis aux producteurs de gagner la partie. 
La vendange particulièrement hétérogène suite à la floraison perturbée, comportait des grappes et des baies en retard (15 jours en moyenne). Plus petites, plus dures, moins colorées, moins sucrées, plus acides. En un mot, moins mûres. Il convenait de les éliminer par le tri, avant récolte, à la récolte, ou à la réception.
 
Des vinifications très techniques
 
La maturation des cépages rouges a été lente mais favorisée par les températures douces de septembre et octobre, permettant d'atteindre de très belles concentrations des pellicules en couleur et en fruits, ainsi qu'une parfaite maturité des pépins. La plupart des parcelles ont pu être vendangées à un niveau de maturité très abouti, sans surmaturation. 
La vinification des Merlots fut relativement aisée avec de bonnes cinétiques fermentaires, favorisées par une bonne richesse naturelle en azote assimilable, des potentiels en alcools modérés (13 – 13,5 %) et des températures extérieures douces. Par contre, l’extraction au cours de la macération a été bien plus complexe. Il fallait bien travailler la matière pour extraire suffisamment de couleur et de structure.
En fin de fermentation les vins apparaissaient colorés mais étaient difficiles à déguster : un peu austères, très acides et manquant cruellement de gras. Les opérations d’immergeage des marcs, cliquage et macération finale à 30°C avec parfois des délestages juste avant écoulage furent très bénéfiques. Après 3 semaines de macération, les vins ont gagné en sucrosité, en gras, en chair, enrobant de ce fait l’acidité des vins et équilibrant la structure. 
La vinification des Cabernets fut pointue car il fallait suffisamment extraire, sans aller trop loin. Il fallait trouver le juste équilibre. En étant vigilant on a obtenu des vins colorés, avec beaucoup de fruit, de fraicheur et de rondeur. Comme pour les Merlots, les macérations post fermentaires ont été très bénéfiques pour parfaire les équilibres.
 
Des élevages bénéfiques
Les premiers mois d’élevage, en cuves et en barriques, ont permis de parfaire les équilibres et favoriser l’expression du fruit. Les vins rouges nouveaux ont gagné en rondeur et en gras et ont exhalé toute leur complexité de fruit, gardant beaucoup de fraîcheur. En barriques, bois et vin se marient bien, sans dominance de l’un sur l’autre, même si le chemin d’élevage est encore long avant d’atteindre complexité et harmonie. 
 
La compétence des hommes
Il faut bien avouer que 2012 a accumulé un certain nombre de handicaps. La météo a été peu favorable pendant tout le cycle végétatif de la vigne, et il en a résulté une vendange particulièrement hétérogène et une année tardive. Pourtant, malgré ces facteurs limitant, les vins de 2012 présentent de nombreuses qualités.
 
Les 10 facteurs qui ont favorisé la qualité du millésime 2012

§  des rendements modérés favorisant une bonne évolution de la maturité

§  de très grandes amplitudes thermiques en été favorisant la concentration des pellicules en couleur et en arômes

§  sècheresse et chaleur en août qui ont brûlé les arômes végétaux

§  douceur en septembre et octobre qui ont permis de conserver toute la fraicheur des arômes de fruit

§  une maturation lente et régulière ayant conduit à un très beau niveau de maturité des pellicules

§  une très bonne maturité des pépins, libérant peu de tanins astringents

§  de bons équilibres Sucres-Acides

§  une bonne fermentescibilité des moûts avec peu de concurrence de la part des levures Brettanomyces

§  des températures extérieures fraiches ayant facilité les maitrises thermiques

§  un grand savoir-faire techniques des hommes
 
 
C’est le facteur clé de la qualité du millésime 2012 : le savoir-faire technique des hommes.
L’année était tardive, alors on a attendu, patiemment, que la maturité s’affine.
La vendange était hétérogène, alors on a trié : à la vigne, à la récolte, au chai…
Le Botrytis s’est développé parfois de façon fulgurante, alors on a mis les bouchées doubles, pour vendanger plus vite que jamais et prendre la pourriture de vitesse.
Il y avait dans certaines situations un risque de dilution, alors on a effectué des saignées, pour concentrer la matière.
Le volume de production était déficitaire, alors on a particulièrement soigné l’extraction de la matière pour chaque cuve. Comme on a apporté un grand soin à la gestion des températures afin de conserver tout le potentiel aromatique de la vendange.
Ce savoir-faire technique des gens de caves a grandement évolué ces dernières années. Ainsi, avec des conditions comparables à des millésimes comme 1993 ou 1994, allons-nous cette année produire un millésime du style 2001 ou 2008. Et peut-être avec ce millésime 2012, peut-on affirmer qu’il n’y aura plus jamais de petit millésime à Bordeaux !
 
De jolis vins Primeurs
Les vins blancs secs et rosés
Les blancs secs ont été récoltés début septembre, avant les pluies. Les conditions de l'été, sec et doux, avec des nuits fraiches, ont permis de maintenir un état sanitaire parfait, et de conserver toute la fraicheur aromatique. Les rendements sont particulièrement faibles (50 hl/ha), mais la qualité est remarquablement réussie. Après des fermentations assez rapides, les sauvignons s'expriment en intenses notes exotiques et d'agrumes, les sémillons en notes florales. L’élevage sur lies fines permet de fondre la nervosité par l'acquisition de gras et de longueur de bouche. Un grand millésime de sec à Bordeaux !
Les rosés récoltés à partir de la dernière décade de septembre, qu'ils soient de pressée ou de saignée, sont également très réussis. Leur cinétique fermentaire fût exceptionnellement rapide et sans difficulté. Ils se caractérisent par des couleurs pâles comme le veut la tendance actuelle. Les arômes sont explosifs avec une grande pureté d’expression : fruits frais, notes de bonbons acidulés. Leurs bouches sont souples, fraiches et équilibrées, gagnant là encore, en gras et en finesse sur lies. Une grande réussite ! 
 
Les vins rouges
2012 est un excellent millésime de blancs secs et de rosés, mais ne sera pas un grand millésime de rouges comme le sont 2009 et 2010. La Nature n’a pas été assez généreuse.
Un grand millésime, c’est quand tous les producteurs réussissent, quand tous les vins sont bons. En 2012, le climat a été trop capricieux. Il a engendré beaucoup d’hétérogénéité. Selon la précocité des parcelles. Selon les types de sols qui ont réagi différemment au stress hydrique de l’été. Selon la compétence viticole des hommes face aux attaques du mildiou ou du botrytis. Selon les cépages. Selon les choix de date de récolte. Selon la gestion du risque botrytis. Selon les choix techniques en vinification et en élevage…
Mais 2012 est assurément un bon millésime.
Les rendements sont déficitaires. 40 hl/ha à Pomerol, 45 hl/ha en Médoc, 50 hl/ha à Saint-Emilion ou en Côtes, 55 hl/ha en Entre2Mers.
Les principales caractéristiques des vins du millésime sont :
-       des couleurs sombres et franches
-       des arômes de fruits mûrs avec beaucoup de fraicheur, rappelant les 2009
-       des bouches rondes et équilibrées, avec de la sucrosité.
Les Merlots sont colorés, ronds avec de beaux arômes de fruits mûrs. Les Cabernets francs sont souples et frais, avec de belles expressions de petits fruits noirs et d’épices. Les meilleurs Cabernets sauvignons sont concentrés en couleur et en structure, avec des nez de fruits rouges et de notes poivrées. Les Malbecs sont très réussis : sombres en couleur et puissants en structure, exprimant d’intenses arômes d’épices.

Les vins rouges de 2012 sont dans l’ensemble supérieurs aux 2011. Davantage de fruit, et de rondeur.
Que leurs manque-t-il pour faire de grands vins ? Un supplément de structure. De densité comme les 2009 ou de puissance comme les 2010. Mais ils feront de jolis vins, avec une bonne capacité de garde.
Les meilleures réussites du millésime sont élaborées sur les terroirs argileux, avec du Merlot et du Cabernet franc. Avantage à la rive droite 
Le millésime 2012 est un bon millésime, mais, Bon ou Très Bon ?
A vous de juger. Et bonne dégustation des Primeurs ! 
 
 
Note sur les vins liquoreux
J’ai une grande connaissance des liquoreux de Bordeaux où j’ai été consultant pendant près de 10 ans. Mais j’ai aujourd’hui pris trop de distance avec ces vins pour en avoir un avis a priori. Je préfère donc m’abstenir et laisser ceux qui y vinifient exprimer leurs conclusions.