jeudi 26 mars 2020


Le Millésime 2019
Une belle qualité malgré l’hétérogénéité



Une année chaude et sèche

Malgré un mois de janvier froid, l’hiver 2018/2019 est doux et sec, avec notamment + 2°C en décembre et février et   + 1°C en mars par rapport à la moyenne des 20 dernières années. Les pluies sont concentrées entre fin octobre et début février. En fin d’hiver, tous les secteurs présentent un déficit de pluviométrie ; il est de – 8% en Saint-Emilionnais. Cet hiver doux favorise un Débourrement précoce fin mars/début avril. La sortie apparait généreuse quoiqu’hétérogène.

Le printemps est humide et frais, voire froid en mai (-1,7°C) et juin, ralentissant la pousse et entrainant un feuillage jaunissant par endroits. Deux épisodes de gel frappent le vignoble le 13 avril ainsi que les 05 et 06 mai où les températures descendent localement à 4°C. Près de 10% du vignoble est touché, dans toutes les zones viticoles du Bordelais, principalement dans les secteurs historiquement gélifs.


L’été est caniculaire. De fin juin à fin juillet se déroule une période tout particulièrement chaude et sèche ponctuée d’épisodes caniculaires. Le 23 juillet, jour le plus chaud de l’année, sont enregistré des températures maximales supérieures à 40 °C, record historique dans de nombreux secteurs.
Deux épisodes de grêle sont à déplorer : le 19 juin en Blayais, Fronsadais et Médoc, puis le 06 juillet dans l’Entre-Deux-Mers et vers Sainte-Foy-la-Grande, avec heureusement des dégâts localisés.


Une précocité dans la moyenne

                             Courbe de Floraison selon les données du capteur de pollen de Saint-Emilion (source : Conseil des Vins de Saint-Emilion)

FLORAISON

Le radoucissement des températures fin mai favorise la Floraison, observée autour du 04 juin, soit la date moyenne des 30 dernières années. L’intensité de la Floraison permet de prévoir une quantité a priori dans une moyenne haute. La Floraison apparait hétérogène ; tout d’abord rapide en période chaude et sèche, elle est fortement perturbée par les pluies à partir du 05 juin (35 mm), entrainant coulure et millerandage, notamment dans les secteurs tardifs, et affectant le potentiel de production.


VERAISON
La Véraison commence fin juillet, en pleine période caniculaire entrainant un étalement et un début de blocage début août. La mi-Véraison est observée autour du 09 août soit avec 3 jours de retard sur la moyenne. Cet étalement de la véraison augmente encore l’hétérogénéité initiée à la floraison.
L’été caniculaire conduit à un stress hydrique important, néanmoins variable selon les sols et l’âge de la vigne. On observe début août des brûlures sur feuilles et sur grappes exposées au soleil, mais le vignoble réagit globalement bien, comme habitué suite à ce 5ème été de sècheresse consécutif. Il semble que finalement le vignoble ait souffert
                                                                                 d’avantage du trop chaud que du trop sec.
La principale conséquence du stress hydrique sera la forte mortalité de pieds liée à l’Esca.
L’arrêt de croissance de la vigne sera progressif et étalé dans le temps jusque début septembre.


Grappe millerandée suite aux mauvaises conditions de la Floraison
Hétérogénéité bien visible à la Véraison
  



Le climat 2019 chaud et sec permet un faible développement des maladies cryptogamiques, malgré un potentiel de risque a priori très important. Ainsi l’intensité des traitements phytosanitaires est sensiblement plus faible qu’en 2018.
Le principal problème est lié à la pression vers de la grappe, notamment en 3ème génération autour de la mi-août, qui occasionne de nombreuses perforations de baies et ouvre la porte au risque Botrytis. Le Botrytis se développera de manière très limité suite aux éclatements de baies consécutifs aux pluies du 22 septembre.

Perforation de larve d’Eudémis
Forte pression des vers de la grappe (Source : Bulletin de Santé du Végétal)

     
   














Le climat chaud et sec de l’été 2019 conduit à des baies de petite taille avec des peaux épaisses et croquantes, et une chair qui a du mal à se liquéfier. On observe une rapide accumulation des Sucres sans dégringolade des Acidités, grâce à des taux d’Acide Tartrique importants et à un phénomène de concentration par flétrissement. Ainsi La Maturité Technologique de la plupart des Merlots est atteinte rapidement, autour de 10 septembre, mais on observe un décalage entre maturité de la pulpe (technologique) et maturité de la pellicule (phénolique et aromatique). Celle-ci, ralentie par le stress hydrique, ne sera atteinte que 10 à 15 jours plus tard. Les pluies (environ 20 mm) du 22 septembre seront bénéfiques et permettront autant de finaliser la maturité de la pellicule que de grossir les baies.
Ce décalage entre maturités de la pulpe et de la pellicule est inhabituel à Bordeaux. Il avait déjà été observé lors de millésimes très chauds comme 1990, 2003 ou encore 2018. En 2019, canicule et stress hydrique entrainent un phénomène de flétrissement qui diminue les rendements et concentre les raisins à la fois en sucres et en acidité. A contrario, la concentration en couleur et la maturité des tanins sont plus difficiles à obtenir. Ainsi la vendange 2019 est caractérisée par de forts degrés (de l’ordre de 14% vol., voire davantage), une bonne réserve acide mais un léger déficit en couleur et en structure.


                                  Evolution des Sucres, des Acides et de la couleur d’une parcelle de Merlot au cours de la maturation du millésime 2019


A la veille de la récolte, le vignoble est parfaitement sain ; les baies sont petites et les quantités apparaissent déficitaires, malgré le grossissement des baies suite aux pluies du 22 septembre. Les raisins sont gorgés de sucres tout en conservant un bon potentiel acide ; les peaux sont épaisses, riches en arômes de fruits ; les baies sont délicieuses à déguster.


Une récolte rapide

La récolte des premiers Merlots se fait dans les terroirs précoces (Pomerol, Margaux) vers le 18 septembre, puis se généralise après les pluies du 22. Les Cabernets évoluent particulièrement bien et présentent un très beau potentiel à la récolte, début octobre.
A partir de 22 septembre, le temps frais et humide accélère la maturation, mais augmente également la pression Botrytis, notamment dans les parcelles touchées par le vers de la grappe. Ainsi la récolte des rouges sera-t-elle rapide, s’étalant globalement du 20 septembre au 15 octobre.


Malgré la richesse en Sucres, les fermentations alcooliques se déroulent sans grands problèmes, à l’inverse du millésime 2018. A contrario, la libération de la couleur et de la structure (Tanins et gras) au cours de la macération, s’avère plus délicate. Fréquence des remontages/pigeages/délestages et températures post fermentaires seront les clés de l’extraction, au cours de macérations qui seront relativement courtes.


Une belle qualité quoiqu’hétérogène

Le millésime 2019, issu d’un climat chaud et sec, est clairement un millésime de réchauffement climatique. L’incidence sur les différents types de vin est variable.

Les Blancs secs de Bordeaux sont les premiers à bénéficier de ce réchauffement du climat. Les journées chaudes concentrent la matière en bouche et apportent du gras, alors que les nuits fraiches permettent de conserver la fraicheur aromatique. Issus de rendements modérés ; les blancs secs 2019 sont aromatiques avec une bonne typicité des cépages, et présentent des bouches souples avec une bonne tension. Les vins de Sémillon s’habillent de robes légèrement dorées, de délicats arômes floraux ou de fruits à chair blanche, avec des bouches souples et rondes. Les Sauvignons sont expressifs et typés avec une dominante agrumes (thiols) et parfois fruits exotiques, et avec toujours une bonne fraicheur.
Les Rosés, suivent la même tendance et sont particulièrement réussis : couleurs pâles, arômes variétaux entre les agrumes et les petits fruits rouges, souples et vifs avec des finales très douces. Ils sont parfaitement en phase avec la demande du consommateur, et démontrent une nouvelle fois, la parfaite maitrise de ces produits acquise par la viticulture bordelaise.



Les Rouges réagissent différemment au réchauffement du climat, en fonction des terroirs et des cépages.
Les Cabernets sont les grands vainqueurs. Bénéficiant d’une meilleure maturité, ils développent des couleurs sombres, des nez de petits fruits et de notes épicées, sur des bouches denses et rondes.
Les Merlots les meilleurs révèlent la promesse des beaux raisins récoltés : une couleur noire comme de l’encre, des arômes noirs comme des petits fruits, des bouches noires comme du chocolat avec de la rondeur et de la sucrosité. La plupart expriment le triptyque cher à Bordeaux : couleur / fruité / rondeur. Mais lorsqu’ils ont trop souffert du stress hydrique, ils sont plus simples et présentent moins de concentration, tout en demeurant fruités, souples et agréables, avec un moindre potentiel de garde. Sur certain terroirs, filtrants et traditionnellement précoces, ils montrent parfois leurs limites.
Des rouges 2019 hétérogènes, à l’image de l’hétérogénéité observée depuis la floraison jusqu’à la récolte.

Les Blancs liquoreux n’ont pas été favorisés par le climat, trop sec début septembre, puis trop humide à la suite des pluies du 22, entraînant l’installation de la pourriture acide. Les tries, longues et fastidieuses pour ne garder que le meilleur, conduisent à des rendements faibles. Il en résulte des vins avec du volume et de l'équilibre exprimant les fruits confits.

2019 : un nouveau millésime réussi à Bordeaux

2019, millésime de sècheresse, est marqué par ses rendements déficitaires et son décalage entre maturité technologique et phénolique. Ressemblant davantage à ce que l’on rencontre dans l’hémisphère Sud que traditionnellement à Bordeaux, il est pour le vinificateur une situation inhabituelle et un défi nouveau.
Bien conduites, les vinifications révèlent des vins mûrs : colorés, aux arômes de petits fruits noirs, avec de belles rondeurs de bouche. Des vins très en phase avec la demande actuelle du Marché ; des vins aptes à relancer les ventes actuellement ‘’timides’’ des vins de Bordeaux.

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