mercredi 25 mars 2020


Le Millésime 2018
Un millésime exceptionnel, malgré le Mildiou



Un hiver froid et humide

Toutes les données climatiques proviennent de la station météo de Saint-Emilion (source : Demeter)


Malgré un mois de janvier particulièrement doux, l’hiver 2018 est froid et humide, avec notamment – 2,2°C en février et près de – 1°C en mars par rapport à la moyenne des 20 dernières années. On compte plus de 50 jours de pluie et l’excédent de pluviométrie en fin d’hiver est de + 29% ! Suite au gel de 2017, les travaux de taille sont difficiles et demandent sensiblement plus de temps que d’habitude.




Début avril est frais et humide, les sols sont froids et saturés d’eau retardant le débourrement jusqu’à mi-avril. La sortie apparaît généreuse et assez homogène. Les sols les plus filtrants se ressuient les plus vite, permettant un débourrement et une reprise des travaux plus précoce ; les sols argileux, eux, se ressuient seulement suite aux températures élevées de fin de mois.




Un été caniculaire

                           Courbes de Floraison selon les données du capteur de pollen de Saint-Emilion (source : Conseil des Vins de Saint-Emilion)

Mai est doux et sec, conformément aux moyennes, et favorise une pousse active ainsi qu’une Floraison précoce dans les derniers jours du mois (mais avec 5 jours de retard sur 2017, année exceptionnellement précoce). La mi-Floraison est observée au 1er juin soit avec 3 jours d’avance sur la moyenne. On note une précocité des Cabernets francs comparable à celle des Merlots. La Floraison apparaît hétérogène, tout d’abord rapide en période chaude et sèche, elle est perturbée par les pluies à partir du 03 juin, entraînant un peu de coulure et de millerandage. L’intensité de la Floraison permet de prévoir une quantité a priori dans une moyenne haute.
Si début juin est frais et humide, retardant la floraison des Cabernets sauvignons, l’été est chaud avec + 1,5°C par rapport aux moyennes. La Véraison commence fin juillet, en pleine période caniculaire entraînant un étalement et un début de blocage début août. La mi-Véraison est observée autour du 03 août soit avec 3 jours d’avance sur la moyenne.
Le temps chaud et sec de juillet/août, avec plusieurs périodes caniculaires (fin juin, fin juillet, début août et vers le 20 août), entraîne un stress hydrique progressif qui conduit à un arrêt de croissance précoce et net, fin août. La vigne ne poussera plus jusqu’au pluies de mi-octobre qui verront l’apparition de quelques nouvelles feuilles.

Stress hydrique sur Merlot sur sol sablo-graveleux
Deux épisodes de stress hydrique important sont observés. Le premier au moment de la période caniculaire de début août, entraînant un ralentissement et un début de blocage de la maturation, particulièrement sur les Cabernets francs. Il sera levé suite aux pluies légères (14 mm) mais salvatrice du 08 août. Le second, du 07 septembre au 07 octobre, 1 mois sans quasiment une goutte de pluie, période correspondant à la fin de maturation et à la récolte des cépages rouges.


Flétrissement sur grappe de Merlot au moment de la récolte

Ce stress hydrique (déficit de pluviométrie de  - 20% d’août à fin octobre) entraînera un blocage d’évolution de la maturité pour quelques rares parcelles - jeunes vignes ou graves profondes –, une mortalité importante de pieds en fin de saison, mais surtout un phénomène de flétrissement généralisé avec une perte de volume non négligeable.


       




Une pression Mildiou d’une rare intensité

Le Mildiou a été l’ennemi N°1 du vignoble et a entraîné pour les viticulteurs un travail acharné pour essayer de sauver la récolte.
Au cours du mois de mars et de la 1ère quinzaine d’avril (46 jours), on compte 36 jours de pluie. Sur certains sols, il est difficile de pénétrer dans les parcelles pour appliquer les premiers traitements. Les toutes premières taches de Mildiou sont observées après les pluies de fin avril, succédant une période chaude d’une dizaine de jours. Cette succession de périodes chaudes entrecoupées de pluies se retrouvera en mai et en juin, conduisant à une humidité permanente et un ressenti de climat ‘’équatorial’’. Fin mai, les taches apparaissent sporulantes et la maladie se développe ; les premiers symptômes sur inflorescences (rot gris) sont observés. Suite aux pluies de la mi-juin, de plus en plus de parcelles sont atteintes sur grappes (rot brun), notamment pour le cépage Merlot.
Le temps chaud et sec de la deuxième quinzaine de juin, ralentit l’évolution de la maladie, mais les pluies de fin juin-début juillet ainsi que les rosées matinales activent à nouveau son développement de manière très virulente, sur feuilles et surtout sur grappes. Les baies atteintes sèchent et se momifient, entraînant des pertes de récolte. Juillet chaud et sec permet enfin un ralentissement de l’évolution de la maladie qui stoppera début août avec la véraison. Mais le mal est fait dans de nombreuses situations avec des pertes de récolte parfois conséquentes, malgré 3 mois de lutte acharnée des viticulteurs pour contenir la maladie.

Mildiou sporulant sur baies à la nouaison


Une maturation idéale

Amplitude Thermique et Pluviométrie de Juin à Octobre 
Si les conditions météo du millésime sont favorables au développement du Mildiou, le temps durant tout l’été et le début de l’automne (mi-juin à mi-octobre), est également idéal pour une bonne évolution de la maturité.
Le temps est chaud et sec mais avec juste ce qu’il faut de pluie pour favoriser le développement de la plante et la maturation des raisins. Ainsi s’il ne pleut jamais beaucoup, il pleut régulièrement, tous les 15/20 jours, et suffisamment pour éviter un stress hydrique trop important ou un blocage de la maturité.

Dans ces conditions, les baies se gorgent rapidement de Sucres et dégradent rapidement leur Acide Malique. Les degrés d’alcool potentiels sont élevés (environ 14%vol.) mais on n’assiste pas à une dégringolade des Acidités, grâce à des taux d’Acide Tartrique importants.

                                                   Evolution des Sucres et des Acides au cours de la maturation d’une parcelle de Merlot


La sécheresse de l’été conduit à des baies petites avec des peaux épaisses et croquantes, et une chair qui aura du mal à se liquéfier.
La Maturité Technologique est atteinte rapidement, dès début juillet, mais on observe un décalage entre maturité de la pulpe (technologique) et maturité de la pellicule (phénolique et aromatique).
Dans les pellicules, les molécules aromatiques végétales (pyrazines) sont rapidement dégradées par la chaleur estivale. Par ailleurs, au cours de la période mi-juin à mi-octobre, on observe une très grande amplitude thermique jour/nuit, avec une moyenne de 15°C, dont plus de 30 jours (soit un jour sur deux) proches de 20°C. Cette grande amplitude thermique sur une si longue période, de la Véraison à la récolte, est tout particulièrement favorable à la synthèse de couleur et d’arômes de fruits dans les pellicules des baies de raisin.
Les pépins, eux, évoluent vers un très bon niveau de maturité, leur permettant de libérer une quantité importante de tanins fondus et ‘’sucrés’’.


Une vinification technique

La récolte commence par les Merlots vers le 20 septembre et se termine par les Cabernets sauvignons un mois plus tard. Les raisins sont mûrs avec de bons équilibres Sucres/Acides, riches en bons Tanins, en couleur et en fruits. Les conditions de récolte - journées ensoleillées, chaudes et sèches avec des nuits fraîches, sans aucune pression Botrytis – permettent de vendanger à la carte, parcelle par parcelle, chacune selon le profil recherché par le vinificateur. Des vendanges de rêve !

Lors de la vinification, la matière apparaît ‘’généreuse’’, en ce sens qu’elle donne facilement : couleur, fruits mûrs, rondeur et structure. Les extractions peuvent se faire tout en douceur, et les macérations sont relativement courtes. A l’inverse, la maîtrise des aspects fermentaires est bien plus délicate. Moûts riches en Sucres et pauvres en Azote, résidus de produits phytosanitaires et de Cuivre, relargage de Sucres après écoulage…, faire des vins tout simplement secs s’avère un long jeu de patience, heureusement sans grande pression Brettanomyces.


Une qualité magnifique

A la dégustation, les vins nouveaux révèlent une qualité magnifique.

Les Blancs secs sont très aromatiques avec une bonne typicité des cépages, beaucoup de souplesse et de fraîcheur. Les vins de Sémillons présentent de belles robes légèrement dorées, de délicats arômes floraux ou de fruits à chair blanche, et des bouches rondes avec du gras. Les Sauvignons sont expressifs et typés : agrumes (thiols) ou fruits exotiques, avec toujours une bonne fraîcheur.
Les Rosés, amyliques ou variétaux, sont souples et vifs, avec des finales très douces, et présentent des couleurs très pâles en phase avec la demande du consommateur.


Les Rouges, particulièrement colorés, expriment des arômes de petits fruits noirs, et des bouches tout en rondeur et en sucrosité ; ils sont à la fois de belle concentration et faciles à boire. Les Merlots sont particulièrement fruités, avec des bouches riches et rondes où les tanins s’expriment davantage par la sucrosité que par la structure. Les Cabernets sont magnifiques, d’un niveau de qualité qu’on ne rencontre que dans les grands millésimes. Les Cabernets sauvignons présentent des couleurs sombres, des nez de petits fruits noirs et de réglisse, sur des bouches denses et rondes ; les Cabernets francs sont exceptionnels : explosion de fruits mûrs et d’épices accompagnant des tanins d’une maturité rare ; LE cépage du millésime !
Les Blancs liquoreux présentent du volume, du gras et ce qu’il faut de fraîcheur pour équilibrer la bouche, avec des arômes de fruits confits d’une très belle finesse.


2018 : un millésime exceptionnel

2018 a été une année dure pour la viticulture car il a fallu mener une lutte sans relâche contre le Mildiou pour sauver la récolte, avec des résultats +/- satisfaisants. Mais la récompense de ces efforts est un millésime de très belle qualité, avec une maturité parfaite pour tous les cépages, et des vins alliant concentration, rondeur et équilibre ; des vins qui raviront les consommateurs et qui inscrivent 2018 assurément parmi les grands millésimes du XXIème siècle.

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